Émotions et passions au cœur de la campagne
Si Emmanuel Macron submerge tout autant que ses adversaires la campagne d'affects collectifs, il cherche néanmoins à créer autour de lui une communauté d'adhésion, sans pour autant flatter la colère et le rejet.
Atmosphère psycho politique
A l’arrière-plan de cette atmosphère psycho politique si particulière tant elle met en jeu des aversions plus que des désirs et participe d’un rétrécissement des idéaux dans la cité, on trouve les affects de vengeance qui ont contribué à tarir la présidence Hollande et alimenté impatiences, jalousies et rancunes aussi bien dans le monde politique que dans le corps social. On pensera, entre autres, à l’attitude des frondeurs qui ont cherché à censurer le gouvernement Valls comme aux livres fielleux écrits par d’anciens ministres, telle Cécile Duflot, ou par l’ex-première dame, Valérie Trierweiler. François Hollande aura suscité bien des fiertés blessées et libéré des pulsions vindicatives inouïes dans la comédie politique. Tout cela a une autre conséquence : jamais, entre indignation et désillusion, le désir d’abstention n’a été si fort dans l’électorat. Dans ce contexte, Emmanuel Macron, qui propose sans pathos apparent de gérer au mieux l’économie mondialisée, semble être un candidat en rupture psycho politique. D’une part, il laisse entendre que le choix démocratique dépend de la capacité à délibérer et non pas de plaire par l’indignation ou d’influencer par le ressentiment. D’autre part, en se disant à la fois de droite et de gauche, il veut rompre avec la dualité habituelle opposant l’ami et l’ennemi, le «nous» et le «eux», facteur d’électrisation des foules et d’exacerbation des émotions.
L'onction avant l’élection
Mais l’économie fait-elle rêver ? Le principe de réalité permet-il aux électeurs de s’enthousiasmer, de faire d’un candidat leur idéal du moi comme il en va dans une élection présidentielle ? Comment faire lorsqu’on incarne le ministère pour viser le magistère ? Avec son usage décomplexé du storytelling, ses attitudes de télévangéliste jouant de la puissance incantatoire du verbe, sa manière de créer un attachement à sa personne en laissant entendre que la sagesse perce sous la jeunesse et le charisme sous la rationalité de l’économiste, Emmanuel Macron utilise les affects tout autant que ses adversaires. Mais, au lieu de mettre en scène des émotions de rejet brutales pour flatter ou impressionner, il veut répondre à l’impatience née de la déception du mandat de François Hollande et réenchanter la politique en la passionnalisant. Pour ce faire, il cherche à créer autour de lui une communauté affective tant il aime les électeurs d’un amour égal. Emmanuel Macron quête l’onction avant l’élection. Là réside toute l’ambiguïté de sa démarche ! Toute émotion saisit la conscience au dépourvu, donne immédiatement le sentiment d’exister, mais c’est bien souvent une défaite de la raison, même si on peut parfois lui trouver une légitimité. Quant à passionnaliser la politique, cela ne va pas sans ambivalences, car il ne saurait y avoir d’exercice passionné du pouvoir en démocratie, mais correspond à une volonté de faire quelque chose, à contrer des inquiétudes et à remplir une attente. Certes, ce sont des mots qui magnifient le désir plutôt qu’ils ne portent un projet argumenté, mais dans le contexte psycho politique actuel on ne saurait les ignorer. On peut cependant le regretter.
Michel Erman est l’auteur de Eloge de la vengeance, PUF, 2012